extrait du livre de Charles JOYON "DU CAFÉ AU THÉÂTRE: Voyage avec les baladins des petites scènes" édité aux éditions de L'Harmattan
Les 400 Coups

     Courte vie que celle de cette petite salle foisonnante d'événements théâtraux et musicaux où l'humour occupa une place privilégiée! Le destin frappe parfois avec bonheur, C'est ce qui se passa pour cette "bonbonnière" dont rien en 1977 ne pouvait laisser présager qu'elle deviendrait, durant quatre ans, un café-théâtre dans le vent. Au 74,  rue du Cardinal Lemojne, en bordure de la place de la Contrescarpe et de la rue Mouffetard, existait depuis bien des décennies une salle de danse, comme il y en avait tant dans tous les quartiers de Paris. Ce lieu avait pour nom: le Bal de la Contrescarpe. On dit que Fréhel venait y chanter. Ernest Hemingway logea juste au-dessus, sous le toit de ]a mansarde. Devenu discothèque après la disparition des orchestres de danse, chassés par le progrès technique, le lieu fut repris en 1975, et fut doté d'un nom significatif : le théâtre des 400 Coups. La chance voulut qu’uncouple de comédiens, jeunes et avides de succès, soit mis en rapport avec les propriétaires. C'étaient Michèle Ulrich et Yves Carlevaris: elle, jeune comédienne, devant encore se faire un nom, ce qui ne tarda pas; lui, de nationalité monégasque, fut d'abord danseur à l'Opéra de Monaco avec Marika Besobrasova comme maître de ballet. Il se tourne très vite vers le théâtre, crée la Jeune Compagnie de Monaco et produit une dizaine de pièces. Puis, il monte à Paris où on le retrouve dans plusieurs distributions. Il passa ensuite à La Comédie de l'Est. Il règle la chorégraphie de spectacles, puis se met à la mise en scène, Lorsque je l'ai rencontré,  il jouait au Théâtre Présent de la Villette une pièce de Guy Foissy ‘’ Dracula Travel ‘’. Je fis aussi la connaissance de Michèle Ulrich, spectatrice ce soir-là. Carlevaris  venait de faire l'adaptation de ‘’L'amour en visite’’ d'Alfred Jarry. J'étais un des organisateurs du premier Festival de café-théâtre qui se tenait du 28 janvier au 13 février 1977. Sur mon intervention, la pièce futprogrammée au Théâtre de Plaisance, lui aussi disparu. J'ai plaisir à rappeler ce moment, puisque je fus ainsi mêlé aux véritables débuts de ce couple. Le festival terminé, la pièce de Jarry qui n'avait pu, pour des raisons de mésentente avec le directeur du Plaisance, poursuivre ses représentations cherchait un autre lieu d' accueil.             Le Théâtre des 400 Coups recrutait. ‘’L'amour en visite’’ fut  immédiatement programmé dans ce nouveau lieu. Mis en scène et joué par Yves Carlevaris avec Michèle Ulrich et Pierre Nunzi, qui sera ensuite remplacé par Daniel Tarrare, le spectacle connut un immense succès.
            La presse unanime loua le travail d'adaptation et le talent des comédiens.
            On écrivait dans l’Avant-Scène « Yves Carlevaris et Michèle Ulrichnous  restituent dans une joie partagée l'univers baroque,fou, cynique etpoétique à la fois, du Père Ubu. » Quant à Michèle Ulrich, découverte des médias, elle recueillait un flot de félicitations: « « Scintille comme un feu de Bengale, Pétillante, onduleuse, sucrée ou acidulée, elle s’éclate comme une pochette surprise », dira d'elle un critique du Parisien.             Dans Parjscop, on disait d'elle: "Présence, sensibilité, sensualité, charme, force  fragile, une des rares" femmes de théâtre" d'aujourd'hui. " Ses qualités étaient reconnues par les critiques, mais aussi par le public, comme nous aurons l'occasion de le constater au cours des années qui suivirent ses débuts si remarqués. On confia !a responsabilité à  Michèle et Yves d'assumer la charge de la sélection des spectacles et de leur promotion. Ce fut le début d'une riche collaboration de créations et de réussites pour le couple, tant aux 400 Coups qu'ailleurs, notamment au Théâtre de Dix Heures.
De l’humour, de l’humour et encore de l’humour
 
            Alors, sans défaillance, au cours de leur séjour, les spectacles ouverts à la gaieté et à la joie de vivre se succédèrent.
         - L'amour en visite poursuivait une carrière reconnue.

  • ‘Les catcheuses’ de Bernard Moraly, mis en scènepar Jean-Louis Monceau,  permit à Jean-Pierre Bacri et à Gérard Darmon de réussir un extravagant duel de travestis burlesques et pathétiques.

  • La vague du one man shown'avait pas encore déferlé sur les scènes, mais Clovis s'imposa comme un des précurseurs. Roi du calembour et du coq-à-l'âne, extraordinaire musicien jouant de 22 instruments dont certains nés de son insolite imagination, comique niais et débile, mais aussi humoriste de qualité, il brûla les planches, avec son spectacle ‘À louer’, créé quelques mois plus tôt à La Vieille Grille.

 
  • - Eva Darlan, qui fut de la première équipe du trio des «Jeannes » , fit une entrée remarquée avec une pièce dont elle était l'auteur ‘A force d'attendre l'autobus’. Brigitte Catillon et Hervé Pallud jouaient en sa compagnie ce texte  ‘cousu main’.

Dès 1978, après le succès médiatique des spectacles de la première année, à raison de deux représentations par soir, le théâtre des 400 Coups accueille, grâce à sa réputation, une programmation de qualité.
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Pierre Desproges, qui n'est pas encore connu pour lui-même mais pour sa prestation, aux c6tés de Jacques Martin dans ‘Le petit rapporteur’, arrive en compagnie d'Evelyne  Grandjean.  La pièce s'appelait « Qu'elle était verte ma salade ». Les deux comédiens se sont connus à l'Olympia alors que Pierre Desproges donnait la réplique à Thierry Le Luron dans ‘La causerie au coin du feu ‘ de Valéry Giscard d'Estaing.      Evelyne Grandjean présentait avec Catherine Allégret un extrait de leur spectacle « Pourquoi pas moi », qu'elles jouaient alors au Coupe-Chou. " Nos atomes humoristiques se révèlent tellement crochus, dit Pierre Desproges, que nous avons décidé de convoler aussitôt en juste plume, d'écrire et de monter ensemble un  spectacle.’’
 À cette période de la deuxième décennie du café-­théâtre, on avait rarement l'habitude d'y voir des artistes au palmarès confirmé. Aux 400 Coups, cette exception fui pourtant plusieurs fois pratiquée.
  • Claude Pieplu et Jacques Seiler décidèrent de jouer une pièce de Guy Foissy, « La goutte ». J’ai vu ce spectacle et voici ce que j’en disais dans un article publié dans ‘Elle’ :

‘’Cette fois, Guy Foissy a ciselé un petit bijou grâce à l’absurde et à la musique des mots et des phrases… … Tout se déroule dans une obscurité, de temps à autre rompue par le mince faisceau de lumière tamisée, éclairant tour à tour le visage expressif de Pieplu et les mains gantées de blanc de Seiler… Pendant une heure, tout est suspendu à une action qui ne vient jamais et à la chute d’une goutte d’eau… Elle exprime le mieux le symbole des réactions de l’homme devant l’Inconnu, devant l’inexplicable.’’
  • Autre participation inhabituelle, celle de Jean-Marc Thibault, venu raconter ses                   sketches pour vingt représentations exceptionnelles.

 
 Un autre échappé, tel Desproges, de l’émission ‘’le Petit rapporteur ‘’,
Daniel Prévost, ex-élève du Petit Conservatoire de Mireille, clame « Venez nombreux ». Avec son comique désopilant, bousculant tous les poncifs, il fit la démonstration qu’il était aussi à l’aise  sur scène qu’à l’écran.
Il y eut aussi le passage d’une sacrée fille
Florence Giorgetti, très remarquée au cinéma dans ‘’La dentellière ‘’ dans Poubelle Girl, ‘’un show étourdissant de vie, de drôlerie, de poésie, ‘’écrivit Robert Enrico .
Dans la diversité des spectacles que l’on présenta aux 400 Coups, il faut particulièrement distinguer :
  • « Le fromage blanc s’est évanoui » de Jean-Claude Isler, mis en scène par Georges Beller.

  • « Y’a qu’là que j’suis bien » de et par Henri Courseaux, ‘un grand clown’, écrivait Michel Grey dans l’Aurore.

  • Dominique Bailly, tendre, émouvante, drôle, pétillante, dans « Les yeux plus gros que le ventre », l’enfant de Raymond Devos et d’Alice au pays des merveilles.

  • Michel Lagueyrie, lui aussi un solitaire de la scène, s’installa  avec son insolite « Baleine Blanche qui riait jaune »

Un soir, Danièle Delorme et Yves Robert, son époux, découvrirent au Théâtre des 400 Coups deux duettistes de l’humour, Mario Dalba et Roger Mirmont qui jouait « On vous écrira ». François Cluzet en avait assuré la mise en scène. ‘Notre désir de surprise est satisfait, quelque chose de physique éclate sur scène, on ne sait quelle prouesse insolite, étonnante de vie, de comique, de qualité, nous ravit.’
 
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‘Spectacle kulturel et idio-visuel  pour piétiner les plates-bandes magnétiques en gros sabots’, c’est ainsi que la publicité définissait « Cause à mon c… ma télé est malade » écrit et joué par Alain Scoff, avec Françoise Pavy, Bernard Larmande et Marc Moro. L’auteur était fin prêt pour faire partie de la troupe de Stéphane Collaro .
 
       -     Le public apprécia énormément ‘Bye bye baby’, une pièce écrite et jouée par deux délicieuses comédiennes,
Anémone, déjà remarquée à La Veuve Pichard dans La revanche de Louis XI aux côtés de Coluche, et au cinéma dans Vous n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine et Tonie Marshall, fille de Micheline Presles. Les deux filles étaient drôles, piquantes, séduisantes et très lucides; pourtant, le sujet était tabou à l'époque puisqu'il traitait de l'avortement.
       -    Deux comédiens presque débutants que j'avais repérés lors d'une audition pour La Baie de Naples furent, grâce à mon intervention,programmés aux 400 Coups.
« Passe-moi le sel », titre de leur spectacle, permit à François Châtillon (souvent vu dans les séries télévisées) et à Gérard Savoisien, maintenant metteur en scène de théâtre de boulevard, de faire la preuve de leurs talents naissants.
Durant ces années où le répertoire fut très fourni, le couple
Carlevaris­ - Ulrich assura avec brio la programmation et le fonctionnement du théâtre. Michèle Ulrich joue et rejoue « L'amour en visite » et effectue aussi tout le travail de relations publiques et de rapports avec la presse. Yves Carlevaris poursuit ses activités de comédien sur d'autres scènes et met en scène plusieurs spectacles aux 400 Coups. On lui doit:  - « Le plus beau  métier du monde », ce qui permet à deux comédiennes ou plutôt chanteuses Stone et Charlotte Julian, de présenter un véritable spectacle de divertissement où les chansons fusent.
- « Bonjour les monstres », prétexte à un univers délirant de bandes dessinées, voit les débuts de
Bruno Chapelle et de Bernard Campan (l'un des trois Inconnus).
- Les soeurs Lucas, Jil1 et Viviane, qui vont de création en création depuis leur début à La Marna du Marais, salle qui me fut chère, firent irruption sous la baguette de Carlevaris dans « De quoi j'me jumelle ». Un retour attendu des insolentes jumelles avec Jean-Claude Robbe dans une aventure de science-fiction totalement loufoque.
- En 1981,
Didier Kaminka n'est pas un inconnu, c'est un habitué du théâtre d'humour. Il a joué, en 1975 ,dans « Viens chez moi, j'habite chez une copine » créé au Studio des Champs-Elysées et repris au Théâtre Edouard VII et au Gymnase. En 1976, « La solitude d'un gardien de but » au Studio des Champs-Élysées. En 1977, « Pour 100 briques, t'as plus rien » au Théâtre de La Bruyère. Et en 1980, il fait, lui aussi, son one man show « J'tiens debout parce que c'est la mode ».
Le temps passe, la fin des 400 Coups est proche, mais personne ne le sait encore.
  • Jean-Lou Horwitz, que nous avons vu débuter à la Marna du Marais, fait jouer Claude Brosset dans « Monsieur Felkenstein et moi » (cogitations d'un psychiatre).

  •  Roland Giraud qui a baroudé avec Coluche et Renaud à La Veuve Pichard, et avec ceux du Splendid dans « le Père Noël est une ordure » où il incarne un travesti, décide d'être seul un moment. « Patpapa », écrit par Dominique Rolin (prix Kléber Haedens 1980) ]ui en donne l'occasion. Juste après la représentation, il courait au Splendid pour jouer dans « Le Père Noël est une ordure ». Quel marathon!

 
  • On connait Jean-Luc Moreau comme un excellent metteur en scène. À cette époque, il l'était déjà mais il jouait aussi avec Yvan Varco, l'auteur de « Magnifique, magnifique N°2 ». Le numéro 1 avait été présenté par les deux compères au Point Virgule quelques mois auparavant.

  •  Olivia Orlandi a beaucoup joué dans les cafés-théâtres, elle est moins connue comme auteur. En janvier 1981, aidée par Guy Verda, elle fit réaliser sa pièce « Madame le Président », mise en scène d'Yves Carlevaris. Les deux auteurs l'interprétaient, Marthe Villalonga jouait le rôle principal avec son habituelle faconde.

  • « La grande Shirley »  fut l'occasion pour Ginette Garcin de retrouver son public, d'avance conquis.

 Jean-Jacques Blanc avait écrit « Une étoile dans le placard » où, sensuelle et espiègle,   une jeune comédienne, Kelvine Dumour, avait été remarquée.
À ce moment, le propriétaire décida de vendre son petit théâtre. Entre-temps,
Michèle Ulrich programmait le Théâtre de Dix Heures. Ils quittèrent avec regret cet endroit.
Le theâtre des 400 Coups a vécu. Si vous passez devant l’immeuble, vous découvrirez qu’actuellement c’est une librairie.

extrait du livre de Charles JOYON "DU CAFÉ AU THÉÂTRE: Voyage avec les baladins des petites scènes" édité aux éditions de L'Harmattan
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