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Roland Dubillard est né le 2 décembre 1923. Il fait partie du « Nouveau Théâtre de l’absurde» de la deuxième génération (après Ionesco, Beckett, Adamov...), un terme qui regroupe des auteurs ayant eu la même démarche: ébranler les formes traditionnelles du théâtre en déconstruisant l’histoire, la chronologie, l’espace, la psychologie des personnages et surtout la base de toute cette construction : le langage. Il montre une existence dénuée de signification et met en scène la déraison du monde dans laquelle l'humanité se perd . Il pose alors la question : qu’est ce que le théâtre, quand il n’y a plus d’histoire qui tienne, de personnages cohérents, de lieu compréhensible ?
Créée en 1962 au théâtre de Lutèce à Paris, éditée en 1966, « La Maison d’Os » correspond tout à fait à ce questionnement : elle tente de montrer le fonctionnement de cette grande maison aux recoins obscurs, qu’est l’œuvre théâtrale, qui vit comme un corps, avec sa tête pensante (Le Maître ; L’auteur) et les membres actifs et individuels (Les domestiques ; les récepteurs de l’œuvre). "La Maison, c’est l’intérieur de l’homme" (scène XXXIII) et l’intérieur de l’homme c’est le théâtre, c’est la création : et qu’est ce qu’il s’y passe comme choses absurdes et incomprises, surtout quand le langage, qui essaie d’expliquerl’inexplicable, s’embrouille, se brouille, se débrouille !

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Cette pièce pousse encore plus loin le questionnement de ce qu’est l’œuvre de théâtre, puisqu’elle propose une nouvelle forme dans l’objet même du manuscrit : c’est une suite de quatre-vingt une scènes plus ou moins longues, posées les unes à côté des autres, sans liens temporels ni causaux. Dubillard précise en première page de l’édition que "les scènes se succèdent ici dans un ordre que l’auteur n’impose pas au metteur en scène" et il conseille qu’il y ait le moins de comédiens possible pour jouer la quarantaine de domestiques. Les valets V1, V2, V3 ne correspondent pas à un personnage en particulier, mais à leur ordre d’entrée en scène. Il peut donc y avoir autant de personnages que l’on veut et autant de combinaisons d’ordre de scènes possibles. Liberté totale du metteur en scène ? »(Marie Leroy)

"Ce n’est pas à l’auteur de décider, d’imposer, de savoir ce qu’il faut faire. C’est à l’œuvre de trouver son sujet et ses lois. Il vaut mieux le hasard que la volonté d’un auteur."
Dans « La Maison d’Os », le dedans, c’est le moi enfermé dans un corps, le dehors un moyen par les mots de pénétrer l’intérieur de cette maison. Le Valet s’adressant au Maître lui déclare : « Le dedans d’une chose, sitôt qu’on y entre, on ne peut plus, Monsieur, regarder cette chose du dehors. »
« Je peux parler de cette maison, oui, mais sans ordre, comme ça me vient, comme on raconte sa vie… selon comme ça me saute à la mémoire. »

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Suggéré par ce passage du Journal des Goncourt (1880), le sujet de « La Maison d'Os » est l'agonie d'un vieillard très riche, sans famille, entouré d'une quarantaine de domestiques pour qui la question n'est pas là. ...
« Il n'y a que Paris pour ces tragédies bourgeoises. Ces jours-ci est morte, une semaine après son mari, Mme X... La maison X..., sans un capital bien connu, était une maison à chevaux, à voitures, à nombreux domestiques. La malade est morte dans son lit, sans avoir été complètement déshabillée, pendant cinq jours, par ses femmes faisant une noce d'enfer avec les domestiques dans le sous-sol; et des sinapismes ayant été commandés par le médecin, c'est le cocher, complètement saoul, qui les lui a posés sur ses bas, oui, sur ses bas, qui n'avaient pas été retirés. »

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Un monologue du Valet de la « Maison d’Os »délivre une clé essentielle de cette dimension ; « N’importe quel endroit est le bon, si c’est par lui qu’on est entré. » Peu importe le moyen : ce qui compte, c’est de rentrer à l’intérieur. Dans « la Maison d’Os », cela correspond à une logique qui est celle du texte, et à travers la pièce l’auteur donne toutes les bases, tous les principes. Il est une sorte de Maître dans le sens où son théâtre contient tous les éléments qu’on a envie de développer.Les personnages sont tantôt agressifs, en état permanent d’absence, tantôt vulnérables, prisonniers de leur « maison d’os », emportés par leurs rêves à la recherche d’un remède à leur difficulté d’être. L’un dit une chose, l’autre la reprend pour essayer d’engager un dialogue, mais ce qui est dit n’a pas beaucoup de sens. Ce qui compte, c’est la répétition du mot, le fait d’avoir parlé et d’avoir repris la parole de l’autre, pour éclairer de petites histoires simples à partir desquelles on aborde au plus haut niveau une quête existentielle ou métaphysique. « C’est un peu le sens de mon écriture. Il y a un machin qui ne marche pas. Il faut essayer de résoudre la difficulté. Mais elle demeure. On se jette à l’eau, c’est tout, en espérant qu’on pourra nager. »
La musicalité du texte fascine, son rapport avec les sons qui transforment et élargissent la quête de sens et ouvre sur un autre imaginaire. C’est dans cette construction quasi obsessionnelle de l’écriture que se dégage une forme de relation originale avec l’absurde,Acteur remarquable, Dubillard écrit pouré les comédiens : « Les répétitions, les à-peu-près, les phrases interrompues (dont la finale, elle-même brisée, n’a aucun rapport avec la première partie), tout cela jaillit en un flot verbal irrésistible, en apparence incontrôlé, plein de coq-àl’âne, de liaisons farfelues, de plaisanteries d’almanach, de raisonnements sans queue ni tête, de jugements à l’emporte-pièce, d’images incongrues dans leur fulgurante banalité! » (Théâtre)
«On joue comme les enfants, les enfants jouent toujours. C'est naturel. Il ne faut pas le perdre.»
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La dimension de l’œuvre de Dubillard est immense ; elle ne se veut pas moralisatrice ou didactique, mais porte en elle une part d’énigme qui touche, avec légèreté et ironie, aux interrogations du monde d’aujourd’hui abandonné par l’essentiel de ses valeurs. C’est pourquoi son œuvre perdure. Il faut jouer Dubillard pour sa jeunesse actuelle.«Je suis un auteur comique. Il faut toujours que je le dise car les gens ne le croient pas.»

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Après avoir programmé « L’eau en Poudre »avec Jacques Seiler et Angelo Bardi, Yves Carlevaris a mis en scène et interprété avec Pierre Aknine « Les huîtres ont des bérets » extrait des « Diablogues » aux Dix Heures. Quant à « La Maison d’Os » il l’a déjà présenté en Avignon où sa mise en scène fut saluée par la critique.
Ce spectacle de fin d’année clos l’exercice 2008/2009. L’école aura doncprésenté trois spectacles : « Le Bouc » de Fassbinder, « Molière en urgence », « La Maison d’Os » et une lecture de « Quai Ouest » de B.M.Koltès.
Il est interprété par Ingrid Aymes, Joan Borderie, Simon Carlevaris, Arnaud Faure Beaulieu, Sébastien Hirondel, Emma Lecocq, Jules Roukoz.

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critique de « La Maison d’Os » mise en scène par Yves Carlevaris en Avignon